Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/145

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Le désenchantement de son amant s’avère complet. Témoin, si l’on veut lire entre les lignes, cette lettre que je donne presque en entier, parce qu’on y trouve des aveux qu’aucun commentaire n’oserait souligner, et parce qu’elle constitue un document des plus significatifs sur l’homme intime :

3i août 1857.

« J’ai détruit le torrent d’enfantillages amassé sur ma table. Je ne l’ai pas trouvé assez grave pour vous, chère bien-aimée. Je reprends vos deux lettres, et j’y fais une nouvelle réponse.

» Il me faut, pour cela, un peu de courage, car j’ai abominablement mal aux nerfs, à en crier, et je me suis réveillé avec j l’inexplicable malaise moral que j’ai emporté hier soir de chez vous.

«… Manque absolu de pudeur…

» C’est pour cela que tu m’es encore plus chère.

« — Il me semble que je suis à toi depuis le premier jour ou je t’ai vu. Tu en feras ce que tu voudras, mais je suis à toi de corps, d’esprit et de cœur. »

» Je t’engage à bien cacher cette lettre, malheureuse ! Sais-tu réellement ce que tu dis ? Il y a des gens pour mettre en prison ceux qui ne payent pas leurs lettres de change ; mais les serments de l’amitié et de l’amour, personne n’en punit la violation.

» Aussi je t’ai dit hier : vous m’oublierez, vous me trahirez ; celui qui vous amuse vous ennuiera. Et j’ajoute aujourd’hui : celui-là seul souffrira qui, comme un imbécile, prend au sérieux les choses de l’âme. Vous voyez, ma belle chérie, que j’ai d’odieux préjugés à l’endroit des femmes. Bref, je n’ai pas la foi ; vous avez l’âme belle, mais, en somme, c’est une âme féminine.

Voyez comme en peu de jours notre situation a été bouleversée. D’abord nous sommes tous les deux possédés de la peur d’aflliger un honnête homme qui a le bonheur d’être toujours amoureux. Ensuite nous avons peur de notre propre orage,