Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/228

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« J’ai vu Baudelaire une fois, une seule. Champfleury va le voir de temps en temps. On l’a fait dîner chez Nadar. C’était imprudent, et lui-même, je crois, en a ressenti et manifesté de la fatigue (i). Il en est resté à ces trois mots : Non, cré nom, nom ; et la mémoire n’a pas faibli en lui. Il m’a montré tout ce qu’il aimait, lorsque j’ai été le voir : les poésies de Sainte-Beuve, les œuvres d’Edgar Poe en anglais ; un petit livre sur Goya, — et, dans le jardin de la maison de santé Duval, une plante grasse exotique, dont il m’a fait admirer les découpures. Voilà l’ombre du Baudelaire d’autrefois, mais elle est toujours ressemblante (2). Il a manifesté la plus grande colère à un nom de peintre que je

(1) Voir aussi Vie de Baudelaire, p. 101, le récit d’Asselineau. Les termes en sont presque identiques à ceux de la lettre de M. Troubat.

(2) Ciiampleury, dans ses Souvenirs, a noté pareillement la fidélité de Baudelaire agonisant, à son personnage :

« L’excès de bizarrerie de Baudelaire est certainement l’idiosyncrasie du poète qui fut singulier en plénitude de toutes ses facultés ; la maladie accablante qui met ses sensations à nu, le montre sincère dans ses anciens goûts. L’amour des fleurs tient encore une grande place dans l’esprit de l’ami que je cherche à peindre. Mais les fleurs favorites de Baudelaire ne sont ni la marguerite, ni l’œillet, ni la rose. C’est avec de vifs enthousiasmes qu’il s’arrête devant des plantes grasses qui semblent ou des serpents se jetant sur une proie, ou des hérissons accroupis. Formes tourmentées, formes accusées, tel fut, tel est l’idéal du poète. Il laisse à d’autres les marguerites, en face desquelles il me tenait dernièrement des discours mimés pleins de mépris, ayant éprouvé sans doute des hauts de cœur du méchant emploi des m’aimes-tu ? un peu, passionnément, etc., dont ont abusé les faiseurs de romances.

« Ce qui est rouge, voyant, sonore, dentelé, capricieux, Baudelaire l’a accueilli tout d’abord sans s’inquiéter s’il y avait parfum à recueillir. Il préfère le dahlia à la violette. Je ne saurais mieux expliquer l’homme… »