Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/312

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furent tigres. Baudelaire me raconta un jour avec véhémence qu’il avait reçu de Maxime duCamp un billet ainsi conçu : « Monsieur Charles Baudelaire, allez corriger vos épreuves à l’imprimerie Pillet I i » Il fallait lui entendre déclamer cette phrase qu’il trouvait singulièrement impertinente. J’en avais fait un dessin.

Dans ce temps-là, je l’ai déjà dit, j’étais fort pauvre, et lui, l’était aussi. Quand il arrivait chez moi dans la matinée, sa première question était ordinairement celle-ci : « Avez-vous quelques sous ? » Et si la réponse était négative, ce qui n’arrivait que trop souvent, Baudelaire ajoutait, d’un air résolu : « Voyons le placard ! » Ce placard était un puits immense où j’avais jeté, avec l’insouciance d’un homme ruiné, tout ce qui avait échappé aux saisies précédentes : livres, brochures, estampes, cahiers de musique, paperasses. On avait beau y puiser, il s’y trouvait toujours quelque chose. Il en était comme de ces tonneaux qu’on croit tous les soirs avoir mis à sec et dont les douves suent du vin pendant la nuit. Un jour, jour de détresse suprême, Baudelaire vendit au bouquiniste du Passage de l’Opéra pour 20 francs de bouquins, de musique et jusqu’à des autographes de nos amis. Le bouquiniste en riait lui-même. Il en avait sa charge, k Et quand je pense, disait-il, que je donne 20 francs de tout cela ! qu’est-ce que j’en ferai ? » C’est pendant cette période que les souvenirs me reviennent en foule et que les anecdotes abondent. Baudelaire était le plus

(1) C’est sans doute le billet qu’on trouvera plus loin, Appendice, X.