Page:Crépet - Les Poëtes français, t1, 1861.djvu/432

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
382
QUINZIÈME SIÈCLE.

« Je vien de court. Mais là est uns mestiers
Qui tond et rest[1] les bestes trop estroit[2] :
Pour ce, vous pri, gardez-vous des barbiers ! »

Lors li chevaulx dist : « Trop m’ont fait de mal,
Jusques aux os m’ont la chair entamée :
Soufrir ne puis cuillier[3], ne poitral[4]. »
Les buefs dient : « Nostre pel est pelée. »
La chièvre dit : « Je suis toute affolée. »
Et la vache de son véel[5] se plaingnoit,
Que mangié ont. — Et la brebis disoit :
« Pandus soit-il qui fist forcés[6] premiers !
Car trois fois l’an n’est pas de tondre droit[7].
Pour ce, vous pri, gardez-vous des barbiers !

« Ou[8] temps passé, tuit li[9] occidental[10]
Orent[11] long poil et grand barbe mellée ;
Une fois l’an, tondirent leur bestal[12],
Et conquistrent mainte terre à l’espée ;
Une fois l’an firent fauchier la prée ;
Eulx, le bestail, la terre grasse estoit,
En cet estat, et chascuns labouroit ;
Aise[13] furent lors nos pères premiers.
Autrement va chascuns tout ce qu’il voit[14] :
Pour ce, vous pri, gardez-vous des barbiers ! »

Et l’asne dist : « Qui pert le principal,
Et c’est le cuir, sa rente est mal fondée :
La beste meurt ; riens ne demeure ou pal[15]
Dont la terre puist lors estre admandée.

  1. Rase.
  2. De trop prés.
  3. Voir note suivante.
  4. Collier, poitrail, parties du harnais.
  5. C’est-à-dire : la vache se plaignait qu’on eût mangé son veau.
  6. Ciseaux.
  7. Car il n’est pas juste de tondre trois fois l’an.
  8. Au.
  9. Tous les…
  10. Occidentaux. Allusion aux premiers conquérants des Gaules, et au temps où le système fiscal de la féodalité n’était pas encore établi.
  11. Eurent.
  12. Bétail.
  13. Contents, à leur aise.
  14. C’est-à-dire : les choses vont bien autrement.
  15. Rien ne reste pendu au croc (en fait d’instruments de travail).