« Je vien de court. Mais là est uns mestiers
Qui tond et rest[1] les bestes trop estroit[2] :
Pour ce, vous pri, gardez-vous des barbiers ! »
Lors li chevaulx dist : « Trop m’ont fait de mal,
Jusques aux os m’ont la chair entamée :
Soufrir ne puis cuillier[3], ne poitral[4]. »
Les buefs dient : « Nostre pel est pelée. »
La chièvre dit : « Je suis toute affolée. »
Et la vache de son véel[5] se plaingnoit,
Que mangié ont. — Et la brebis disoit :
« Pandus soit-il qui fist forcés[6] premiers !
Car trois fois l’an n’est pas de tondre droit[7].
Pour ce, vous pri, gardez-vous des barbiers !
« Ou[8] temps passé, tuit li[9] occidental[10]
Orent[11] long poil et grand barbe mellée ;
Une fois l’an, tondirent leur bestal[12],
Et conquistrent mainte terre à l’espée ;
Une fois l’an firent fauchier la prée ;
Eulx, le bestail, la terre grasse estoit,
En cet estat, et chascuns labouroit ;
Aise[13] furent lors nos pères premiers.
Autrement va chascuns tout ce qu’il voit[14] :
Pour ce, vous pri, gardez-vous des barbiers ! »
Et l’asne dist : « Qui pert le principal,
Et c’est le cuir, sa rente est mal fondée :
La beste meurt ; riens ne demeure ou pal[15]
Dont la terre puist lors estre admandée.
- ↑ Rase.
- ↑ De trop prés.
- ↑ Voir note suivante.
- ↑ Collier, poitrail, parties du harnais.
- ↑ C’est-à-dire : la vache se plaignait qu’on eût mangé son veau.
- ↑ Ciseaux.
- ↑ Car il n’est pas juste de tondre trois fois l’an.
- ↑ Au.
- ↑ Tous les…
- ↑ Occidentaux. Allusion aux premiers conquérants des Gaules, et au temps où le système fiscal de la féodalité n’était pas encore établi.
- ↑ Eurent.
- ↑ Bétail.
- ↑ Contents, à leur aise.
- ↑ C’est-à-dire : les choses vont bien autrement.
- ↑ Rien ne reste pendu au croc (en fait d’instruments de travail).