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POÉSIES DE PIERRE GRINGORE.



POÉSIE BOURGEOISE PARISIENNE




PIERRE GRINGORE


Pierre Gringore est un type rare et excellent de la poésie bourgeoise ; c’est à lui surtout qu’il faut demander ce que valait la Bourgeoisie. Pleine de bonhomie, joviale et malicieuse, religieuse et morale au sein de la famille, grave et discuteuse au dehors ; naïvement brutale et sarcastique à l’égard de toute nouveauté, abondante en proverbes et conteuse au coin du feu ; étroite d’idées en politique, et ne voyant rien au delà de l’administration intérieure, où elle est habile et progressive ; obstinée, creusant profondément et sagement dans l’étroit domaine intellectuel qui lui est assigné, telle avait été jusque-là la Bourgeoisie française, et c’est elle que Gringore représente avec finesse et énergie dans sa littérature. Il était né, selon toute apparence, à Caen, vers le milieu du règne de Louis XI ; il avait quitté de bonne heure la maison paternelle ; il y avait été suffisamment exposé, sans doute, à ces éternels proverbes qui étaient les étrivières morales de l’adolescence ; il n’en oublia jamais ni la sagesse magistrale, ni la tyrannie invincible. Des pertes de fortune ou la passion de l’indépendance l’avaient jeté hors du métier paternel et lancé dans une vie d’aventures qui satisfaisait sa fantaisie et sa curiosité naturelle. Cette jeunesse aventureuse fut un bonheur pour lui : elle empocha sa tendance à philosopher de le jeter trop avant dans l’école des Molinet.

Il courut, paraît-il, à la suite des armées françaises, jusqu’en Italie, De retour à Paris, il entra dans la société des Enfants-sans-Souci. où il occupa l’illustre position de Mère-Sotte. C’est sous ce titre qu’il composa divers drames où il joua lui-même ; et il développa en cette joyeuse compagnie le côté original et hardi de son talent : la fantaisie, la verve, l’observation extérieure. Louis XII employa ce talent satirique dans sa lutte contre Jules II .Gringore écrivit plusieurs pamphlets, et, devenu célèbre, il fut appelé à la cour de Lorraine par le duc Antoine qui le nomma héraut d’armes. Il prit part, en cette qualité, à la guerre des Rustauds, sorte de dernière croisade que le duc entreprit pour chasser de ses frontières cent mille paysans allemands fanatisés.