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SEIZIÈME SIÈCLE.

naître sous un toit où les lettres, la philosophie, l’honnête ambition étaient en grand honneur. On l’envoya aux plus célèbres maîtres : Dorat, Turnèbe et d’autres savants hommes l’eurent pour disciple attentif. La philosophie lui sourit, les mathématiques l’attachèrent, mais les vers colorés d’Homère, les chants alternés des pâtres virgiliens le captivèrent davantage. Comment vint-il à Paris ? quelle espérance ou quelle nécessité l’y attira ? C’est ce que l’on ne peut décider que timidement. Mais qu’importe le motif d’un voyage au bout duquel il devait être salué le bienvenu par le prince des poëtes du temps, le dieu de la vogue, le plus grand homme de l’époque, comme on disait alors, par Ronsard lui-même ?

Par le temps de poésie qui court aujourd’hui, par l’existence qui est faite aux poètes d’à-présent, par l’épidémie de dédain pour toute œuvre poétique qui règne en l’an de grâce 1860, ce n’est pas un mince sujet d’étonnement de voir l’accueil fait jadis à Amadis Jamin, sa position rapidement conquise, son installation chez Ronsard, son entrée dans la chambre de Charles IX, comme secrétaire et lecteur.

Quelques vers ont fait tout cela. Ronsard, l’illustre, le divin Ronsard, que l’on nommait alors le plus grand homme de France, Ronsard lit, par hasard peut-être, quelques vers de Jamin. Il est charmé, lui qui en faisait de si charmants. Son cœur est pris du même coup que son esprit et son goût. Il ne peut voir partir, s’éloigner un tel poëte ; il le retient, il le loge en sa propre maison, il le traite comme son propre fils. Mais ce n’est pas assez ; le protecteur veut pour son protégé une position qui le fasse riche, qui lui donne à la cour honneurs, considération et profits. Justement le roi qui règne est poëte lui-même et ami respectueux des poètes, puisqu’il leur reconnaissait sur lui cette supériorité « de donner les couronnes, quand lui, roi, ne faisait que les recevoir. » Donc, Amadis Jamin, présenté, appuyé, prôné par Ronsard, est nommé par Charles IX secrétaire de la chambre et lecteur du roi. Époque étrange, où plusieurs ont fait grande fortune en tuant beaucoup de gens, où d’autres sont devenus les confidents des rois en écrivant des sonnets et traduisant Homère !

Pourtant il n’est guère populaire, ce poëte Amadis Jamin, et les détails de sa vie sont si peu connus qu’il a pu en sortir une légende, légende la moins vraisemblable qu’il se puisse trouver et inventer au sujet d’un de nos poètes du xvie siècle, gens si attachés à leur pays, à leur maison, à leur cabinet, à leurs livres. Il ne s’agirait de rien moins que d’un voyage de Jamin en Grèce et dans l’Asie Mineure. Qu’est-ce