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D’AUBIGNÉ


1551 — 1630



Il nous est très-difficile en France d’admirer les grands hommes protestants ; il nous est presque impossible de les aimer. Quelles sont les raisons de cette hostilité qui dure encore, malgré les progrès de l’esprit philosophique ? Elles sont toutes instinctives, elles sont toutes nationales. Nous sommes des gentils devenus chrétiens, tandis que les protestants semblent des juifs convertis. Comment notre caractère et notre génie d’expansion s’accorderaient-ils avec le caractère concentré, avec le génie tendu de la Réforme ? Gaulois et Francs, remués de Grecs et de Romains, aventureux et classiques tout à la fois, païens baptisés dans nos sources pleines de naïades et hantées par les fées, nous avons dû longtemps haïr et combattre ces terribles fils de la Bible, ces nouveaux circoncis qui se disaient régénérés par l’eau du Jourdain. Libres de mœurs, que nous importait la liberté dogmatique et théologique ? Enfants gâtés de l’imagination antique et de la légende dorée, qu’avions-nous affaire de ces briseurs d’images qui, sous prétexte de renouveler la foi par la raison, dépeuplaient sans merci le monde surnaturel, traitaient les arts comme de vaincs superstitions, et ramenaient à l’humanité moderne le Dieu jaloux de l’Ancien Testament ? Deux huguenots seulement ont triomphé de l’antipathie nationale : un homme d’État popularisé par le xviiie siècle, Sully ; un guerrier et un poète en qui étincelaient, malgré l’austérité des doctrines, l’héroïque et pétulante vivacité de la nation française, Théodore —Agrippa d’Aubigné ! Rien ne manque aujourd’hui au renom de cet homme illustre. La postérité ne marchande ni son admiration ni son amitié à celui que ses coreligionnaires appelaient autrefois le bouc du Désert.

La vie d’Agrippa d’Aubigné n’est ignorée de personne. Elle frappe