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RÉGNIER


1573 — 1613



L’oncle de Mathurin Régnier, Desportes, avait été le favori de deux rois. Abbé de Tiron, de Bonport, de Josaphat, des Vaux de Cernay, d’Aurillac, et de plus chanoine de la Sainte-Chapelle, son revenu, bien établi, n’allait pas à moins de dix mille écus. Ces Valois tant décrié ? aimaient et protégeaient la poésie comme un luxe de cour, et un luxe italien ! Charles IX donnait à Desportes huit cents écus d’or pour le Rodomont ; Henri III, pour quelques pièces de vers, le gratifiait en une seule fois de dix mille écus d’argent. Il semblait, en ce temps-là, que la Muse eût royalement mis le pied sur la roue de fortune. Comment le jeune Mathurin n’eût-il pas rêvé, en naissant, de battre monnaie avec des rimes, comme avait fait son glorieux oncle, l’abbé de Tiron, de Josaphat et de vingt autres abbayes conquises à la pointe d’un sonnet ? Le bon Jacques Régnier, échevin de la ville de Chartres, était, à ce qu’il paraît, un homme rempli de sens. Il se disait avec raison que les neveux n’héritent pas toujours de la fortune de leurs oncles ; il devinait peut-être qu’une cour économe succéderait à une cour prodigue, et que le successeur de Henri III serait nécessairement un avaricieux. Aussi, menaça-t-il à plusieurs reprisés son fils Mathurin de le passer par les verges, si le drôle continuait à rimer. On devine bien que le drôle rima de plus belle, encouragé sans doute par sa mère Simonne, et d’ailleurs emporté par son caprice et son humeur, par ce qu’il appelle son vercoquin. Comme il s’entêtait, malgré les verges, dans son goût pour la poésie, sa famille comprit enfin la nécessité de le mettre dans les ordres, pour qu’il pût du moins accrocher quelque bénéfice ou quelque canonicat. Mathurin fut tonsuré, c’est-à-dire autorisé à courtiser les Muses. Emmené à Rome, en qualité de chapelain de l’ambassade, il y resta