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DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

pierreries, ces lieux communs de la comparaison poétique, et en faire un ragoût qui n’a rien de vulgaire ? Nul ne réussit, coihme lui, à humilier les astres et les soleils devant les divinités de son empire poétique, et il a sa place parmi ces immortels qui lui doivent une partie de leur immortalité. En ne songeant qu’à vivre dans le présent, M. Sainte-Beuve l’a noté avec éloquence, « il a su enchâsser son nom dans un moment brillant de la société française et dans cette guirlande des noms de madame de Longueville , de madame de Rambouillet et de madame de Sablé, et, par cette lettre sur Corbic, il a scellé une de ses pages dans le marbre même de la statue du grand Armand. »

Voiture appartient de cœur à la tradition de Marot ; il le prouve par plus d’un trait spirituel et naïf, comme ce charmant début de chanson :

Les demoiselles de ce temps
Ont depuis peu beaucoup d’amants…

Il a pris au grand siècle, c’est le XVI que je veux dire, l’ode, le sonnet, la ballade, ces formes excellentes si souvent condamnées à mourir, et si vivantes encore, Dieu merci. Mais surtout il a été le roi et le maître du rondeau. En ce petit poëme si vif, si léger, si rapide et sémillant d’allure, si net en même temps, et si incisif, personne n’a surpassé ni égalé Voiture. Là est son triomphe absolu ; il a su amener et rattacher le triple refrain avec un art indicible. Un buveur d’eau, Ma foi, Le soleil, Pour vos beaux yeux, Un petit, Dans la prison, En bon français, sont des modèles qu’il faut relire et étudier encore si l’on veut ressusciter le rondeau, ce joli poëme né gaulois qui vaudra peut-être le sonnet, le jour où il aura trouvé son Pétrarque ?

On sait quelle fut la gloire du sonnet d’Uranie, et comment, avec celui de Job, il passionna et partagea les beaux esprits du temps. Dans l’intérêt même de la renommée de nos poètes, il ne faut pas trop insister sur ces bonnes fortunes d’un jour qui volontiers repousseraient dans l’ombre le reste de leur œuvre. Je ne veux pas voir dans Voiture l’auteur du sonnet d’Uranie ; pas plus que je ne veux voir dans Ronsard, toute proportion gardée, le poëte de l’odelette Mignonne, allons voir sila rose. Une telle complaisance laisse trop diminuées les gloires éclatantes, elle ne laisserait rien ou presque rien aux célébrités plus modestes.

Voiture fut-il un bon versificateur ? Oui, et pourtant ses meilleures pièces sont déparées par des irrégularités, des négligences et des faiblesses de rime impardonnables. Mais il a l’ampleur, cette qualité qui