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SCARRON


1610 — 1660



Scarron, c’est tout autre chose qu’un poète ou un bel esprit : c’est un phénomène de l’histoire littéraire. On nô sait vraiment comment le définir, comment l’apprécier et le juger, si l’on oublie un seul instant ses infirmités, ses malheurs, et cet étrange cahos de la Fronde oii il apparaît comme un farfadet, comme un gnome, comme un esprit vif et malsain, aimable et repoussant, comique et cynique jusqu’à la folie. Tous les contrastes se heurtent dans ce simulacre d’existence qui ressemble à un mauvais rêve plein de’cris de douleur et d’éclats de rire. Supposez, si vous l’osez, Thersite et Job fondus ensemble, Apollon et Marsyas inséparablement unis pour s’écorcher l’un l’autre ; imaginez un tronçon de l’Arétin soudé à un fragment d’Ésope ou de Triboulet, à un débris de Diogène ou de Lucien ; eh bien ! vous n’aurez encore qu’une idée fort incomplète de cet affreux et charmant gamin du Marais ; de cet incurable bouffon, si pétulant dans son fauteuil de paralytique ; de ce poëte-quêteur trônant à sa table, au milieu des gens de cour ; de ce petit monstre bourgeois qui épouse une merveille de noblesse et de grâce, et qui a pour amies tout à la fois les courtisanes et les saintes, les J^îinon de Lenclos et les Hautefort. La plaisante cervelle de Scarron logea, plus de trente ans, cinq cents diables cornus qui firent sabbat dans leur logis comme dans une vieille ruine ; mais parmi ces démons enragés il y eut au moins un bon diable : celui qui hébergea les deux sœurs du possédé, qui secourut mademoiselle Céleste de Palaiseau, et qui eut pitié de la jeune Françoise d’Aubigné, la future marquise de Maintenon.

Né pour être riche, Scarron vécut pauvre. Fils d’un conseiller au parlement qui jouissait de vingt bonnes mille livres de rente, il se