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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

coups de fusil, et je ne sais combien de coups de pique que j’ai vu tirer et donner dans les carrosses de la Reine ; et M. Bailly qui vient appeler tout cela un beau jour, en félicitant le Roi d’avoir été conquis par son peuple ! C’était grand’pieité, mon cher ami, que de voir tous ces jeunes gens, si fidèles et si courageux, ces pauvres gardes-du-corps, entourant jusqu’) la fin la famille royale, et marchant à pied au milieu de cette outrageuse cohorte, les uns sans chapeau, les autres sans habit, le visage pâle et mourant. J’en ai vu deux qu’on venait de blesser cruellement dans la grande rue de Sèvres, l’un d’eux était un vieux brigadier de l’Écossaise, et l’autre un gentilhomme du Midi, qui s’appelait M. de Lentilhac ; celui-ci n’avait pas dix-sept ans, et je les fis monter tous deux dans notre carrosse de Madame. — Nous verrons, Monsieur, criai-je à M. de La Fayette, si vous laisserez égorger sous mes yeux un parent de votre femme ?… On a traîné durant plus d’une heure un corps dépouillé tout à côté de cette voiture où nous étions, et l’on disait que c’était celui de M. de Varicourt ? J’ai vu toute cela, mon Enfant, et je ne sais comment j’ai pu survivre à ces terribles visions. Mais ce qui m’a le plus révoltée, c’était l’horrible figure de ce d’Orléans, ivre de vengeance et de joie hideuse, qui venait se montrer avec ses louveteaux sur la terrasse du château de Passy, pour y voir défiler cette cohue sanguinaire et sacrilége[1]

  1. « La famille royale captive, au moment d’arriver à Paris, après plus de cinq heures d’une marche lugubre, y rencontre