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SOUVENIRS

verains, et je calculai que si je me déplaçais après cette horrible journée du 10 août, ce serait pour tomber de Charybde en Scylla, ce qui fit que je restai cinq à six mois claquemurée dans mon hôtel, où je ne laissais plus entrer que mon fils, que M. le Duc de Penthièvre et que Mmes de Chastillon, de Fleury, de Noailles et de la Rivière.

Ce fut à la même époque que l’abbé Desmarets, mon chapelain, s’en alla de chez moi sans m’en rien dire ; et quand j’appris qu’il avait fini par se marier, et par entrer dans la police, il est bien entendu que j’en ai rendu grâce au ciel ! (C’est du départ de l’abbé que j’entends parler.) Je n’ai jamais revu Desmarets qu’une seule fois ; c’était à la commission de radiation pour la liste des émigrés, sur laquelle on n’avait pas manqué de m’inscrire, quoique je ne fusse pas sortie de l’Île de France et du Gâtinais depuis cinq à six ans. Le Citoyen commissaire national écrivait de toute sa force, il ne leva pas les yeux de dessus ses papiers, et nous fîmes semblant de ne pas nous reconnaître.

Je me souviens qu’il se trouvait dans son antichambre un brave homme de l’armée de Condé qui m’attaqua de conversation et qui me raconta les plus consolantes et les plus satisfaisantes nouvelles du monde ; il m’assura positivement que le Roi n’était pas mort ; c’était, disait-il, un apothicaire de la rue Saint-Denis qui ressemblait prodigieusement à Louis XVI, et qui s’était laissé mettre à mort à la place du Roi ; il ajouta qu’il avait très bien connu ce bon apothicaire, et que c’était, du reste, un des signataires de la protestation du cloître Saint-Merry.