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SOUVENIRS

tèrent à notre section de la Croix-Rouge, en disant à M. Pierron, secrétaire de notre juge-de-paix : — Nous voici deux cents honnêtes gens qui n’avons plus rien à mettre en gage ; nous ne voulons ni voler, ni nous mêler dans les émeutes, nous mourons de faim, donner-nous du pain ou tuez-nous !…

Cet excellent M. Pierron leur dit en larmoyant qu’on allait faire une collecte pour eux et qu’il leur conseillait d’avoir confiance en Dieu.

Il envoya chez Mme  de Sully, rue St-Guillaume ; elle donna deux mille écus en louis d’or ; on passa chez M. d’Havrincourt, rue St-Dominique ; on courut à l’hôtel de Bérulle , on fit parler à M. d’Allemans qui criait de la goutte et qui n’en donna pas moins 50 louis ; on était venu chez moi, comme de juste, et sans être sorti d’un rayon de quatre à cinq cents pas autour de la Croix-Rouge, on avait rassemblé, en moins d’un quart d’heure, environ quatorze mille francs qui furent distribués à ces pauvres gens qui nous comblèrent de bénédictions. Dupont que j’avais chargé de porter à mon offrande, les avait entendus parler d’aller à St-Sulpice ; il eut la curiosité de les suivre jusqu’à l’église où ils se mirent à chanter un cantique en action de grâces ; et ce que vous auriez peine à croire aujourd’hui, c’est qu’avant que la révolution ne s’en fût mêlée, il y avait dans Paris deux espèces de peuple, le bon qui travaillait, et le fainéant qui ne valait rien.

Mme  de Crussol m’avait fait demander la grâce de venir mourir chez moi, rue de Grenelle, et c’était pour un motif étranger. Elle habitait la rue St-Lazare, au quartier d’Antin, et tous ceux qui mou-