Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/19

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même d’une timidité si particulière, qu’elle ne pouvait apercevoir un jeune homme sans en éprouver une espèce de terreur. L’effroi qui la dominait alors augmentait d’autant plus qu’un jeune homme était plus agréable, et Mme Roland, devenue conventionnelle et girondine, avait conservé de ses dispositions juvéniles une telle habitude de réserve, qu’en lisant et relisant l’histoire naturelle de Buffon, elle a toujours sauté, nous dit-elle, par-dessus l’article qui traite de l’homme, avec la promptitude et le tremblement d’une personne qui passerait sur un précipice. Il est alors bien surprenant qu’elle ait eu le courage d’écrire certain passage de ses mémoires, et surtout de l’avoir écrit avec un air de complaisance. C’est la marque assurée d’une résolution mâle et stoïque, car les détails en sont tellement licencieux, que l’effort qu’elle a fait a dû lui coûter beaucoup !

Après avoir médité sur la Philothée de Saint-François de Sales, elle avait formé le projet de se consacrer à la vie monastique ; elle soupirait après ces temps où les fureurs du paganisme valaient aux généreux chrétiens la palme du martyre, et vous voyez qu’il y avait du luxe dans sa dévotion ! En suivant Mme Roland pas à pas, nous allons voir comment la philosophie a pu dissiper les illusions d’une vaine croyance, en lui dévoilant le charlatanisme des prêtres, le ridicule de leurs histoires, et l’absurdité de leur religion.

Mademoiselle Manon Flipon, qui devait unir un jour ses destinées au vertueux Roland, quoiqu’il fût, nous dit-elle, égoïste, revêche et fort négligé dans ses attitudes, Mlle Flipon était, comme je vous l’ai