Page:Crevel – Individu et Société, paru dans la Commune, 1935.djvu/2

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


INDIVIDU ET SOCIÉTÉ[1]

Aristote a constaté : « L’on ne peut se figurer une maison, la Maison (avec un grand M) qui ne soit pas une de celles que nous connaissons. »

Non moins que pour un toit et des murs, cet énoncé vaut pour qui vit et dort, pense et rêve sous ce toit, entre ces murs.

L’Homme (avec un grand H), l’Homme considéré dans son universalité, ne saurait prendre figure ou plutôt absence de figure assez péremptoire pour que l’homme (avec un petit h), l’individu concret accepte de se laisser nier au nom d’une abstraction.

Et pas plus que d’abstraction, il ne s’agit d’addition.

Nul n’oserait prétendre que l’humanité ou, plus spécialement, une société donnée constitue un magma arithmétique dont le total puisse impunément écraser les unités intégrantes.

Des éléments sensibles agissent les uns sur les autres. Ils sont condamnés à agir les uns contre les autres dans des pays divisés en classes, donc voués à la lutte des clas-

  1. C’est avec une profonde émotion que nous publions le discours que devait prononcer au Congrès International des Écrivains pour la Défense de la Culture notre camarade René Crevel ; ce texte, le dernier écrit de sa vie, n’a pu être retrouvé à temps pour être lu au Congrès. Ses amis les plus proches ont tenu à ce qu’il paraisse dans Commune, par respect d’une pensée qui s’était entièrement et sans retour consacrée à l’activité révolutionnaire prolétarienne. Ce message qu’ici nous recueillons souligne la leçon d’une vie, interrompue par le seul désespoir de ne pouvoir physiquement se maintenir au niveau de cette « actualité immédiate » à laquelle René Crevel entendait donner toute son attention.