De nos jours, la bourgeoisie aime à pailleter de bribes de philosophie sa suffisance ou plutôt son insuffisance. Elle appelle Descartes à la rescousse et, pour se donner du cœur au ventre, ses petits produits individualistes répètent, chacun pour soi : « Je pense donc je suis. »
Quant à ceux des masses opprimées, l’oppresseur, qui entend bien ne pas leur laisser le loisir de penser, déclare : « Ils ne pensent pas donc ils ne sont pas. »
Depuis plus de soixante ans, mise en confiance par les massacres que ses délégués à la tuerie, avec des grâces versaillaises, exécutèrent en son nom et à son profit, la bourgeoisie s’est sentie la classe élue. Elle s’est pavanée, mirée, admirée.
Moralité : ses armoires à glace ont servi de cercueil aux formes paralysées-paralysantes de l’individualisme.
« Je me voyais me voir », a bien voulu avouer Paul Valéry. Sous les septennats de MM. Félix Faure, Émile Loubet et Armand Fallières, tous les narcisses en gilet de flanelle et bottines à élastique prétendirent arrêter, domestiquer le ruisseau dont l’inventeur de l’amour de soi fit son immuable tombeau, car ne pas savoir regarder les autres, c’est se perdre en soi-même, s’anéantir.
À ce ruisseau figé, s’oppose le fleuve où, selon Héraclite, nul ne s’est baigné deux fois.
Acharné à vouloir saisir les lambeaux de souvenirs qui flottaient sur la buée des miroirs caducs, et cependant anxieux de se baigner dans des eaux nouvelles, Marcel Proust a situé son œuvre, ultime grand cap de la littérature individualisto-analytique, à la jonction du fleuve dialectique de l’éphésien et de l’armoire à glace petite bourgeoisie. D’où la valeur symptomatique de Proust.
D’où, je pense, l’intérêt que lui portait Lounatcharsky.
Afin d’apprendre à se connaître, l’individu, au moins temporairement, se détache du tout social et c’est là que réside le drame de la psychologie.
Sans doute l’opportuniste prendra-t-il son parti de cette périlleuse nécessité d’analyse. Il proclamera la primauté du spirituel et endimanchera de pauvres petits mensonges idéalistes sa lourde viande.
Dans les cotonneux débris de cénesthésie et les raclures de phénomènes qui portent son nom, il verra le noumène