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Page:Crevel - Babylone (extraits), 1975.djvu/19

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cette innocence païenne dont le masochisme judéen fit le péché originel.

Les habits noirs, le pensionnat cruel, l’harmonium, le culte dans le temple trop bien ciré, le froid carrelage en guise de plancher, et toutes les méchancetés d’une religion menaçante qui se débitent en sermons dans votre maison même, rien n’a triomphé de vos cœurs libres.

Et voilà bien le miracle.

Les yeux fermés, vous suivez les spirales en plein ciel, les arcs de vertige d’un astre à l’autre, dont le plus pâle reflet sur le sol quotidien aveuglerait les autres créatures.

Les Brontë, tonnerre et vent, respectent la flore et la faune tourbillonnantes que leurs songes nourrirent.

Elles ne cueillent nulle fleur, n’arrachent nulle plume, pour leur parure.

Elles savent ce qu’il y aurait de sacrilèges dans d’aussi mesquines coquetteries.

Elles ne sont point des modistes.

Et puis tous les vains trophées, à pendre le long des murs, si vite, deviennent défroques.  

Le frère, Patrick Branwell, d’abord dépêché à Londres, en brillant éclaireur, et, après mille folies, abus, échecs, soudain assagi, du moins quant à l’apparence, précepteur dans une respectable famille, ne sera point fâché, lorsque les voluptés paisibles que lui dispense généralement la mère de ses élèves se trouveront interrompues par la jalousie du mari.

Il regagne son Yorkshire.  

Une fille saoule qui, de son trottoir professionnel, chante :

« Mon soleil, c’est les becs de gaz », ne met pas le moindre mensonge poétique dans cette affirmation.

Quel autre astre pourrait donc bien se rappeler la vierge folle des faubourgs ? Elle dort tant qu’il fait clair et les enseignes lumineuses ont tué la lune. Il n’y a