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geurs et artistes, avaient de bonne heure ouvert des yeux curieux sur la terre où ils vivaient. Thucydide n’a fait, sur ce point, que se conformer à l’exemple de ses devanciers, en y portant la netteté ordinaire de son coup d’œil et la fermeté de son esprit. Ce serait pourtant sortir de la vérité que de lui attribuer, en matière de descriptions géographiques, la même précision presque infaillible que dans la critique des événements proprement dits. La géographie ne se fait pas uniquement avec du bon sens et de la critique, ni même avec de bons yeux. Elle est une science compliquée, où la parfaite vérité ne peut être atteinte que par le concours préalable des mathématiques. C’est à la géométrie de lui préparer les mesures précises dont elle a besoin ; sinon elle ne peut arriver qu’à des conclusions d’une justesse approximative. Il ne serait pas difficile de montrer que la géographie de Thucydide manque souvent de cette préparation géométrique[1].

Découvrir des faits vrais n’est que la premières partie de la tâche de l’historien. Il faut qu’il en fasse connaître toutes les circonstances nécessaires, et surtout la liaison logique, sans laquelle l’histoire ne serait qu’une poussière d’anecdote inintelligibles.

C’est d’abord la chronologie qui est indispensable à l’historien. Les faits sortent les uns des autres. Si l’ordre où ils se produisent est interverti, toute recherche des

  1. M. Jowett, en tête du second volume de sa traduction anglaise de Thucydide (Oxford, 1881), a publié une intéressante dissertation sur la géographie de Thucydide, et montre en particulier l’embarras où son appréciation des distances jette parfois le lecteur moderne ; par exemple, dans la description de la rade de Sphactérie (IV, 8), Thucydide dit que la passe septentrionale de la rode pouvait laisser entrer de front deux navires, et l’autre huit ou neuf ; or l’une a près de 158 mètres de largeur, l’autre près de 1.400. Faut-il croire, avec le Dr. Arnold, que la configuration de la côte ait changé ? Il est beaucoup plus vraisemblable que l'évaluation de Thucydide, fondée sur une inspection rapide des lieux, est un échantillon des singulières illusions d’optique auxquelles les voyageurs sont exposés.