Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/131

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il est un témoin, non un juge. Il faut donc examiner à son tour ce témoin, et savoir ce que vaut son témoignage pour la compétence et l’impartialité.

Sur la compétence de Thucydide, aucun doute n’est possible : il n’est pas un de ces historiens de cabinet, instruits seulement par les livres, dont Polybe faisait peu de cas[1] ; il parle de ce qu’il a lui-même vu de près ou pratiqué. Aussi l’histoire de Thucydide, surtout dans les harangues, contient-elle une somme vraiment surprenante d’observations profondes sur le gouvernement des États et sur l’esprit des cités grecques.

Avons-nous quelque motif de croire qu’un défaut de partialité, ait pu nuire parfois chez Thucydide à la clairvoyance de sa critique ? Chez un homme qui a la religion de la science, on pourrait presque dire que l’impartialité est moins une vertu morale qu’un besoin intellectuel ; sa passion dominante est l’amour du vrai, et les passions qui obscurcissent pour le vulgaire la vue de la vérité sont à ses yeux de si peu de prix, en comparaison du vrai, qu’en général, et sauf les inévitables défaillances de la nature humaine, il n’a guère d’efforts à faire pour s’en garantir. Or il suffit de lire les vingt premières pages de Thucydide pour se convaincre que cet écrivain puissant est avant tout un philosophe, un sectateur passionné de la vérité. Examinons pourtant les choses de plus près.

Dans les questions de théorie politique et d’opinion, ou même dans l’appréciation des personnes en général, c’est-à/dire toutes les fois que sa propre personne n’est pas directement en jeu, il faut avouer que Thucydide avait une disposition d’esprit singulièrement favorable à l’impartialité. Par la modération de ses propres idées,

  1. Polybe (Hist., XII, 25h) blâme la βιβιακὴ ἕξις de Timée, sa science « livresque », comme aurait dit Montaigne.