Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/135

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sonne n’a fait), ces récits suffisent amplement à justifier l’appréciation de l’historien[1]

Thucydide parle encore de la méchanceté de Cléon et de ses calomnies[2]. Quelle raison positive avons-nous de croire qu’ici le calomniateur soit Thucydide ? Absolument aucune. Il est vrai que nous n’avons pas non plus de preuve certaine des calomnies de Cléon, car on pourrait, à la rigueur, révoquer en doute l’exactitude du langage que lui prête Thucydide dans sa discussion contre Diodote. Mais combien ce langage est vraisemblable ! Quel est donc l’homme politique, violent d’idées et de caractère, qui ne parle pas plus ou moins de la sorte ? Tout se tient dans le Cléon de Thucydide étant donnée sa violence, qui n’est pas sérieusement contestable, le reste va de soi, et il faudrait, pour infirmer gravement sur ce point le témoignage de Thucydide, autre chose qu’une envie démesurée de justifier Cléon a priori.

Comment ne pas rappeler à ce propos la manière dont Thucydide a parlé lui-même de son exil ? Il en fait mention dans une phrase incidente du cinquième livre pour fixer une circonstance relative à la composition de son histoire ; c’est presque un hasard s’il en parle ; du reste pas un mot qui trahisse une intention d’apologie[3]. Quant aux faits qui motivèrent sa condamnation, Thucydide les raconte à leur place et à leur date avec sa lucidité habituelle, mais sans parler du décret d’exil ; sa condamnation semble ne pas l’intéresser en tant qu’historien ; c’est un simple accident personnel, sans importance historique. Si c’est là de l’habileté, il faut avouer que cette habileté ressemble fort au dédain

  1. Stahl, de Thucydidis vita et scriptis, p. xviii. Cf. Thucydide, III, 37 sqq. ; IV, 21-22.
  2. Thucydide, V, 16, 1 (κακουργῶν, διαβάλλων).
  3. Thucydide, IV, 106-107.