Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/136

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tranquille d’un esprit élevé qui ne s’afflige ni ne s’étonne d’un fait naturel et qui néglige une occasion facile de mettre ses lecteurs de son parti.

Thucydide a choisi, pour appliquer sa méthode, un sujet tout contemporain, la guerre du Péloponèse. Il donne d’abord pour raison de son choix que cette guerre est la plus importante qu’on ait jamais vue[1]. Quoi qu’il en dise, nous ne saurions oublier, nous, modernes, que la guerre contre la Perse a sauvé la Grèce (et par conséquent l’Europe) de la barbarie, tandis que la guerre du Péloponèse a simplement inauguré la décadence hellénique. Dans l’histoire de l’humanité occidentale, il n’est pas sûr que celle-ci, au total, pèse plus que celle-là. Mais ce qui est, incontestable, et c’est là ce qui frappe surtout Thucydide, c’est que la guerre du Péloponèse a mis en jeu dans le monde grec bien plus d’efforts, de passions, d’activité politique et militaire que la guerre médique elle-même. La guerre du Péloponèse n’a rien d’une épopée ; mais aucun sujet ne pouvait offrir à l’homme d’État, au philosophe politique, un spectacle plus attachant, des leçons plus solides et plus instructives ; or c’est là surtout ce qui intéresse Thucydide. Ce sujet avait un autre avantage ; il lui permettait, beaucoup mieux qu’un sujet plus ancien, de faire œuvre de science précise et d’appliquer sa méthode avec rigueur. Les faits anciens étaient obscurcis par la légende ; la réalité contemporaine offrait seule à sa critique un terrain solide. S’y établir résolument était la première condition qu’il dût remplir pour exécuter l’entreprise qu’il avait conçue.


Restait à exposer le résultat de ses recherches, à dire les faits, à faire connaître les hommes et les peuples, à démontrer l’action des causes prochaines ou

  1. Thucydide, I, 1, 1.