Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/144

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Otfried Müller, il y a tel discours, chez Thucydide, qui répond très directement à un autre discours, par exemple celui des Corinthiens (I, 120 sqq.) à celui d’Archidamos et au premier de Périclès, alors que pourtant nulle concordance aussi rigoureuse n’a pu se produire en réalité, les orateurs s’étant trouvés, par une foule de raisons, dans l’impossibilité de s’entendre les uns les autres. Enfin il n’y a que Périclès, parmi tous les personnages politiques qui figurent dans le livre de Thucydide, à qui l’historien ait attribué trois grands discours. Tous les autres, même Cléon, même Alcibiade, ne parlent qu’une fois, deux au plus ; ou bien, s’ils reprennent la parole, ils ne le font que très brièvement, soit pour exhorter leurs troupes (comme Nicias[1]), soit pour conclure une négociation (comme Archidamos[2]). Souvent aussi de très importantes harangues sont anonymes, par exemple le discours des Corcyréens au début de la guerre. Que doit-on conclure de ces faits bien connus et souvent signalés ? C’est que Thucydide, dans ses harangues, ne se borne pas à reconstruire un discours particulier réellement prononcé ; il compose à chaque fois un discours type, qui résume et condense tous les discours réels dans lesquels une opinion analogue a été défendue. Si des harangues, séparées en réalité l’une de l’autre dans l’espace ou dans le temps se répondent exactement chez Thucydide et se font écho, c’est qu’elles se rapportent à une situation dont l’esprit de l’historien considère successivement les divers aspects. Chacune des harangues de Thucydide est comme la voix même de la situation qui la fait naître et qu’elle explique. Quelquefois cette voix prend un nom et s’appelle Périclès ou Cléon ; alors elle n’exprime pas seulement la philosophie des choses ; elle résume en même

  1. Thucydide, VII, 11-1.
  2. Thucydide, II, 72-74.