Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/173

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avaient encore après lui des progrès à faire. Thucydide est un écrivain de génie, mais c’est par certains côtés un archaïque, et il y a plus de beauté souveraine dans l’art d’un Démosthène ou d’un Platon.

Comme historien, au contraire, il a dépassé non seulement ses prédécesseurs et ses contemporains, mais encore ses successeurs. Il a des qualités scientifiques d’un ordre si élevé qu’elles n’ont même pas été toujours comprises après lui. L’invasion de l’éloquence dans l’histoire, après Isocrate, a détourné de lui ses successeurs et fermé les yeux des critiques à quelques-uns de ses mérites principaux ; Denys d’Halicarnasse le comprend aussi peu que possible. Les Romains, au siècle de César et d’Auguste, l’apprécient davantage. Salluste, à la fois naturellement et par imitation, reproduit certains de ses traits. Quintilien parle de lui avec convenance et justesse. Mais on peut dire que ce sont surtout les modernes qui lui ont rendu pleine justice, non seulement les purs lettrés, mais plus encore peut-être les philosophes politiques et les historiens. L’un des jugements les plus profonds et les plus élogieux que l’on ait écrits sur Thucydide est dû au philosophe anglais Hobbes, auteur d’une traduction de l’historien grec[1]. On a lu plus haut le jugement de Macaulay sur le récit de l’expédition de Sicile. Tous les historiens de la Grèce sont prêts à souscrire au jugement qu’exprimait O. Müller en disant qu'il n’y a peut-être aucune partit de l’histoire universelle qui soit éclairée d’une aussi vive lumière que ces vingt années de la guerre du Péloponèse, dont Thucydide nous a laissé le récit[2]. Historiens,

  1. Ce jugement de Hobbes est cité par A.-F. Didot, à la page xv des Observations préliminaires qui ouvrent le premier volume de sa traduction de Thucydide.
  2. Otried Müller, Hist. de la litt. gr., t. III, p. 196 de la trad. française.