Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/50

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de l’esclavage. Toutes ces thèses contradictoires ne prouvent qu’une chose, l’absence d’une doctrine commune, à moins que celle-ci ne soit sceptique, et la liberté des opinions individuelles. Pour apprécier la sophistique dans son ensemble, il faut s'élever au-dessus de ces détails et découvrir, comme le disait Sainte-Beauve, en parlant de Montaigne : « le mot qui décèle et qui juge ». Or ce mot qui juge les sophistes, c’est à coup sûr la célèbre parole de Protagoras, τὸν ἥττω λόγον κρείττω ποιεῖν. Voilà la formule d’où la sophistique est sortie, le principe qu’elle applique, d’une manières plus ou moins consciente, à la fois dans ses théories sur l'éristique et sur la rhétorique, et dans toutes ses œuvres. Ne parlons pas, si l’on veut, d’immoralité : le mot est trop gros peut-être. Mais parlons de scepticisme, et non pas seulement de ce scepticisme métaphysique que Grote et bien d’autres seraient disposés à pardonner, mais d’une scepticisme radical, partant aussi bien sur les principes de la morale que sur ceux de la science positive, et substituant, en toute matière, à la recherche sérieuse des faits bien observés et bien coordonnés, le jeu frivole des mots, qui dispense du savoir. On aura beau faire, on ne tirera jamais autre chose de la formule de Protagoras. Toute la différence entre les sophistes, c’est que, chez les plus intelligents, ce scepticisme est parfaitement sûr de lui-même et hautement déclaré ; chez les autres, il est plus vague, plus ignorant de sa propre nature ; il est plus pratique que théorique; il se manifeste surtout par de fâcheuses habitudes d’esprit, par la hardiesse à parler de tout sans avoir rien appris, par l’assurance charlatanesque, par le manque de sérieux et de probité scientifique.

Dans le premier groupe, il faut placer Protagoras lui-même et Gorgias. Quand ceux-là distinguent le fond de la forme, les mots et les choses, ce n’est pas sim-