Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/95

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directe et la plus profonde. Et cependant il reste essentiellement original ; car il apporte pour sa part, dans cette collaboration de son siècle avec lui-même, un esprit actif et puissant qui subordonne les éléments extérieurs aux lois intimes de sa propre pensée, et qui, sans bizarrerie ni paradoxe, donne des exemples jusque la inconnus de clairvoyance pénétrante, de profondeur, de fermeté vigoureuse et bien équilibrée.

Nous ignorons quelle part Thucydide prit aux luttes politiques de son temps. À en croire un de ses biographes, il se tint complètement à l’écart de la vie politique et ne monta jamais à la tribune[1]. Cette affirmation absolue est peu vraisemblable. Denys d’Halicarnasse, au contraire, parle en termes vagues des « commandements » et des « honneurs » que les Athéniens lui décernèrent[2]. Ce qui est certain, c’est qu’il fut élu stratège en 424, ainsi que lui-même nous l’apprend. Or il était rare, même à Athènes, qu’on devînt général comme Cléon, sans aucune pratique des choses de la guerre[3]. Thucydide avait donc déjà fait sans doute plus d’une campagne. On peut supposer qu’il servit surtout sa patrie les armes à la main, et que, sans être resté, à l’égard de la politique proprement dite, dans un éloignement que les mœurs de ce temps rendent difficile à imaginer, il dut cependant préférer le rôle de spectateur curieux et attentif à celui d’acteur dans les grands débats politiques de son temps. Ce qui tendrait à le faire croire, c’est la nature même de ses opinions, telles qu’elles se révèlent à nous dans son histoire. C’était un modéré que Thucydide. Bien qu’il affiche peu ses propres sentiments et qu’il s’applique surtout à faire

  1. Marcellin, 23.
  2. Denys d’Halicarnasse, Epist. ad Gn. Pompeium de præc. histor., ch. III, 9.
  3. Voyez sur ce point la thèse de M. A. Hauvette-Besnault, les Stratèges athéniens, p. 45.