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CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

des érudits ; tous sont des hommes d’étude. Ils ne s’occupent guère du peuple, qui ne parle pas la même langue, qui n’a ni la même éducation ni la même âme. Leur public est un cénacle. Leur poésie s’adresse à des lettrés, qui lisent un poème comme un traité de grammaire, à tête reposée, dans le silence de leur cabinet de travail, ou qui l’écoutent réciter dans une réunion de beaux esprits. De là une transformation profonde du fond et de la forme. Les sujets traités ne sont plus les mêmes, ni la manière de les traiter ; composition, style, versification, tout change. Les genres anciens disparaissent, ou s’altèrent si fortement qu’ils en deviennent méconnaissables ; d’autres naissent ou se développent. Un Pindare, un Eschyle, un Aristophane, transportés dans la Grèce du iiie siècle, s’y seraient trouvés étrangement dépaysés. Le fond de toute poésie, désormais, c’est l’amour. À mesure que la vie de chacun est devenue plus étroitement individuelle, le plus fort des sentiments individuels a passé au premier plan dans la littérature comme dans la vie. Cet amour est surtout sensuel et quelquefois passionné : le plus souvent, il se réduit à une galanterie assez fade. Le mal de cette génération est le trop de littérature : on pourrait lui appliquer, à plus juste titre encore qu’aux Romains du ier siècle, le mot de Sénèque sur ses contemporains : litterarum intemperantia laboramus. L’excès de littérature dessèche les sentiments les plus naturels, et les gâte par le bel esprit, par l’étalage de l’érudition, ou au contraire par une affectation de fausse naïveté. Il y a de tout cela chez les poètes alexandrins : ils chantent souvent des « iris en l’air », ou s’en donnent l’apparence ; car ils semblent moins possédés par leur passion que soucieux de montrer leur savoir mythologique ou de jouer spirituellement la simplicité. L’art de la composition faiblit, comme il arrive toujours quand la sincérité du senti-