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THÉOCRITE ; IDYLLES RUSTIQUES

animaux, qui sont à la fois une partie de la nature et comme une sorte d’humanité inférieure, plongée dans cette vie simple de l’instinct qui est la plus contraire à celle des civilisés. Théocrite aime les animaux et les peint volontiers, d’une touche légère et sobre. Ses pâtres connaissent leurs taureaux, leurs vaches et leurs chèvres par leur nom, comme de vrais pâtres : ils savent la nature de chacun, les brusques fureurs de celui-ci, la maladie de celle-là, les caprices de cette autre. Ils apostrophent leur chien et lui parlent comme à un ami, comme à un confident. Tout cela est bien vu : Théocrite n’est pas, comme tant d’autres après lui, un idylliste de salon ; il sait les choses dont il parle, et s’il n’en dit que ce qu’il veut, il choisit en connaissance de cause[1].


Ce qu’il aime avant tout dans le caractère de ses pâtres, c’est la naïveté, la simplicité des idées et des sentiments, si différente de ce qu’il voit autour de lui à Cos ou à Alexandrie. De là, non sans quelque parti-pris, une raison de plus d’être vrai pourtant dans l’ensemble. Car ce qu’il veut voir surtout chez ses héros, c’est justement leur caractère propre, ce par quoi ils diffèrent des autres, ce qui fait qu’ils sont eux-mêmes. Ce ne sont point des bergers musqués et enrubannés : ils sont vêtus de peaux mal préparées et de vieilles étoffes retenues à la taille par une tresse de joncs[2]. Ils ont le nez camard et les cheveux en broussaille[3]. Ils sentent la présure et le bouc[4]. Leur sagesse est faite d’expérience héréditaire et s'exprime par des proverbes. Ils sont superstitieux.

  1. Voir dans Cartault, Étude sur les Bucoliques de Virgile, le chapitre XIII (sur les « réalités rustiques » dans Théocrite et dans Virgile).
  2. Idyll. VII, 15-18.
  3. Idyll. III, 8 ; XIV, 3.
  4. Idyll. V, 50 ; VII, 16.