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CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

moins de nouveauté que son inspiration : en tout, c’est un rare artiste.

Bien qu’il ait composé quelques pièces en vers asclépiades et introduit une fois, dans une idylle en hexamètres, des chansons élégiaques[1], on peut dire que le trait qui frappe d’abord, dans sa versification, c’est la prépondérance de l’hexamètre : les petites épopées, le dialogue rustique, les chansons même des pâtres, tout s’exprime, chez lui, en hexamètres. Rien de moins conforme à la vieille tradition grecque, qui avait une forme de vers spéciale pour chaque genre, hexamètre pour le récit épique, iambe pour le dialogue, vers lyrique pour la chanson. Cet emploi nouveau et paradoxal du vers épique trahit une révolution profonde en littérature : on n’écrit plus pour la récitation publique ou pour le chant, mais pour les yeux ; le poète n’a désormais que des lecteurs ; le choix du mètre devient presque indifférent[2]. Théocrite a senti d’instinct la profondeur du changement et s’y est accommodé sans hésitation. Il est par là, comme nous le disions précédemment, plus novateur qu’Hérodas, et semble plus récent. Cette réforme ne s’est d’ailleurs pas faite brusquement : la transformation graduelle de l’épopée, devenue plus familière depuis Antimaque, avait peu à peu assoupli l’hexamètre. Théocrite, à son tour, reprend cette tradition nouvelle et la continue. Son hexamètre, pour se plier à des besoins nouveaux, va s’assouplir encore : il sera, selon les circonstances, tantôt coulant et facile, dans les récits ou les descriptions, tantôt vibrant comme un chant lyrique, tantôt léger, vif, coupé, comme il con-

  1. Idylle VIII.
  2. Cf. Legrand (p. 413 et suiv.), qui montre avec finesse et précision l’impossibilité de représenter sur une scène les plus dramatiques des mimes de Théocrite, et le « caractère livresque » de son lyrisme.