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APOLLONIOS DE RHODES

La nouveauté de la peinture d’Apollonios consiste d’abord dans une subtilité d’analyse dont il n’y avait avant lui aucun exemple. On n’a peut-être pas assez dit combien c’était une chose neuve, à cette date, que d’étudier heure par heure, pour ainsi dire, l’éclosion d’un sentiment dans une âme, d’en suivre les progrès minutieusement, d’en dire les incertitudes, les combats douloureux, et d’arriver peu à peu, sans défaillance, jusqu’à l’explosion finale, décrite avec une vigueur et un pathétique admirables. Euripide, certes, avait été un grand peintre de l’amour. Sa Médée, sa Phèdre surtout, sont des amoureuses d’une grandeur tragique, mais elles ne nous font pas assister à l’évolution de leur passion : nous n’en voyons que les derniers combats. Ici, l’analyse psychologique est poussée aussi loin que dans un roman moderne. À partir du moment où Médée a été blessée par Éros[1], nous la suivons pas à pas jusqu’au terme inévitable. Après l’audience accordée par Éètès à Jason, le souvenir du héros l’obsède sans relâche[2]. Un songe achève de la troubler[3]. Sa sœur Chalcippe, comme la sœur de Didon dans l’Énéide, se fait sans le savoir, et de la manière la plus naturelle, la complice d’Éros[4].

La joie, la honte, le désir de mourir déchirent l’âme de Médée[5]. Enfin l’amour est le plus fort ; elle mettra au service des Argonautes le secours de sa puissance magique. Elle se rend au temple d’Hécate où Jason doit la rejoindre : après une attente solitaire et pleine d’angoisses, elle voit venir le héros[6]. L’entretien s’engage,

    Couat et de M. J. Girard, l’article de Sainte-Beuve, dans les Portraits contemporains, t. V.

  1. III, 275-298.
  2. III, 451-470.
  3. III, 616-673.
  4. III, 673-723.
  5. III, 724-801.
  6. III, 946-960.