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VALEUR MORALE ET LITTÉRAIRE

la vie, la préoccupation de quelque chose de plus grand que l’objet particulier de sa recherche, il ne fait en somme qu’une œuvre assez médiocre. C’est ce qui arrive trop souvent dans la période alexandrine. On trouve çà et là quelques fleurs exquises de poésie, quelques grandes vues morales, quelques belles pages d’histoire. On y rencontre aussi des savants, et même de grands savants, parce que le propre de la science est de progresser toujours, à moins d’un cataclysme social : ici, les résultats s’additionnent et il se rencontre de temps en temps des hommes qui en font la synthèse. Mais, en somme, l’originalité véritable est rare. Les plus belles créations artistiques de cet âge portent la marque de l’époque : abus des souvenirs, de l’érudition sèche ; raffinement qui se montre jusque dans l’excès d’une naïveté qui n’est pas simple. Le mot d’Alexandrinisme est devenu synonyme, en art, d’une délicatesse un peu mièvre et d’une habileté trop savante, trop bornée à l’extérieur des choses. Il s’applique avec une entière justesse à toute la poésie de cette période, dont il exprime bien les défauts, en même temps que la qualité essentielle aussi, c’est-à-dire un goût persistant de la beauté, une recherche de la perfection qui, même en des tentatives incomplètement heureuses, méritent pourtant d’être loués. Il faudrait un autre mot pour caractériser les prosateurs de ce temps, si généralement étrangers au souci de l’art. Disons que leur malheur est peut-être de s’être trop bornés à faire, en tout genre, des inventaires. La Grèce classique était morte, embaumée dans les bibliothèques et dans les musées. Il s’agissait de la cataloguer et de l’expliquer, de la faire connaître aux nouveaux-venus, qui étaient même en partie des étrangers. Le sentiment qui animait ces travailleurs avait son côté noble : l’admiration et le respect du passé, une curiosité infatigable. Leur défaut, ce fut de vivre trop exclusivement dans ce passé