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CHAPITRE III. — RENAISSANCE AU IIe SIÈCLE


et familière, son imagination enfin, qui lui suggère des rapprochements décisifs. Il y a du Socrate en lui, aussi bien dans le ton, dans la manière d’instruire, que dans la disposition profonde de l’âme. Mais c’est un Socrate sans atticisme, sans arrière-pensée, sans bonne humeur souriante, qui ne s’amuse pas aux incidents de la discussion, pressé qu’il est d’aboutir ; et surtout, un Socrate tranchant et dogmatique, c’est-à-dire, en fin de compte, un tout autre homme que le vrai Socrate. Moins aimable assurément, d’un esprit bien moins large et moins fécond, mais peut-être plus puissant en un certain sens sur ses auditeurs : car si l’autre mettait surtout en eux des germes de pensée, celui-ci y faisait naître des résolutions définitives. « Ceux qui liront ces propos d’Épictète, écrit Arrien, doivent savoir qu’en les entendant de sa bouche, il était impossible de ne pas prendre les sentiments qu’il voulait qu’on prît[1]. »

Cette force, comme nous venons de le dire, ne va pas sans une certaine raideur de conception. L’idée qu’Épictète se fait de l’homme n’est pas assez souple ni assez variée, elle ne tient pas assez de compte de la nature : ce qui est un défaut en littérature comme en morale. On pourrait ajouter que sa philosophie serait plus belle, si elle était plus tendre. Ni le sentiment religieux, ni le sentiment humain n’y ont assez d’effusion. Pour lui, l’homme est le fils de Dieu, et il doit à son père ce qui fait sa noblesse, c’est-à-dire la raison et la liberté ; mais, une fois doué de ces privilèges, il devient indépendant de celui qui les lui a donnés : c’est en lui-même qu’il trouve sa force et c’est de lui-même qu’il attend sa récompense[2]. Il en résulte qu’il n’y a pas en-

  1. Entretiens, Préf., fin : Ἀλλ’ ἐϰεῖνο ἴστωσαν οἱ ἐντυγϰάνοντες ὅτι, αὐτὸς ὁποτε ἔλεγεν αὐτούς, ἀνάγϰη ἦν τοῦτο πάσχειν τὸν ἀϰροώμενον αὐτῶν ὅπερ ἐϰεῖνος αὐτὸν παθεῖν ἐϐούλετο. (All’ ekeino istôsan hoi entunchanontes hoti, autos hopote elegen autous, anangkê hên touto paschein ton akroômenon autôn hoper ekeinos auton pathein ebouleto).
  2. Entretiens, I, 6, 37 : Φέρε νῦν, ὦ Ζεῦ, ἣν θέλεις περίστασιν· ἕχω γὰρ (Phere nun, ô Zeu, hên theleis peristasin ; echô gar)