Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/576

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
558
CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

Tous ces matériaux, ses maîtres de rhétorique lui avaient appris dès sa jeunesse à les mettre en œuvre par l’invention, la disposition et l’élocution. Mais la pratique seule pouvait développer et entretenir en lui l’habileté spéciale dont il avait besoin. Aussi, tous les sophistes en renom s’exerçaient-ils constamment, soit à improviser, soit à méditer, soit à écrire. Isée passait toutes ses matinées à préparer ses discours[1] ; Scopélien travaillait la nuit[2] : Hérode Atticus, jusque dans sa vieillesse, déclamait quotidiennement devant un cercle d’élèves choisis[3]. Grâce à ce labeur incessant, leurs facultés oratoires se développaient prodigieusement. L’usage rapide de toutes les ressources de l’art passait chez eux à l’état d’instinct. Un sujet leur étant donné, ils en voyaient immédiatement les principaux aspects, les divisions possibles ; à mesure qu’ils le traitaient, les pensées de détail leur apparaissaient sous la forme à la mode, et la phrase se modelait avec une facilité merveilleuse. Lorsque Polémon, dans l’improvisation, tournait une période savante, il souriait en arrivant au dernier membre, de manière à laisser voir qu’il exécutait ce tour de force sans la moindre peine[4]. La vraie réflexion n’est lente que parce qu’elle va au fond des choses ; eux, qui ne se souciaient ni de sincérité ni de profondeur, satisfaits d’un ordre superficiel et d’une invention spécieuse, acceptant tout ce qui brillait, sans scrupule de goût ni de vérité, finissaient par vibrer au plus léger contact, pour se répandre ensuite à l’infini en vaines sonorités.

Dans cette éloquence toute tournée vers l’effet, le débit ; qui faisait impression sur le public, était, après l’in-

  1. Philostr., V. S., I, 20, 2.
  2. Ibid., 21, 5.
  3. Ibid. II, 10, 1.
  4. Ibid. I, 25, 7.