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ÆLIUS ARISTIDE

développé en lui la vanité et gâté le jugement. Ses Discours sacrés sont bien, quant au fond des choses, l’une des plus sottes et des plus impertinentes compositions qu’on puisse lire[1]. Impossible d’entretenir le public de ses misères physiques avec une infatuation plus ridicule. Il lui semble que son dieu n’a rien à faire que de s’occuper de lui, et que le monde entier doit être attentif à tout ce qui s’est passé entre eux. Nous n’avons aucune raison, quoi qu’on en ait dit, de douter de la sincérité de sa foi. La dévotion, en lui, s’alliait très bien à la vanité, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Comment aurait-il douté qu’un personnage de son importance ne dût être l’objet d’une sollicitude divine toute particulière ? Cette sollicitude, il la sentait partout, il en jouissait, et il éprouvait le besoin de la publier : sa présomption puérile est la meilleure preuve de sa crédulité.

Aristide est donc un déclamateur. Mais, sous cet art sophistique qu’il étale avec complaisance, on ne peut nier que des qualités rares n’apparaissent et ne compensent même parfois ses défauts essentiels.

Dans un siècle où l’éloquence cherchait surtout à juxtaposer les traits brillants, il a su argumenter. Qu’il traite un sujet réel ou un sujet fictif, dès qu’il s’agit de raisonner, l’invention dialectique atteste chez lui des ressources vraiment remarquables[2]. Si le fond de son discours est historique, comme dans le Panathénaïque ou le Plaidoyer pour les Quatre, il sait tirer de l’histoire les exemples et les arguments avec une rare présence

  1. Ce qui n’empêche pas, bien entendu, qu’on n’y trouve quantité de détails intéressants pour l’histoire morale, religieuse, littéraire du temps.
  2. Prolég. Dindorf, p. 741, 12 : Ἤδη μὲν Λογγῖνος καὶ πάντες οἱ κριτικοὶ πολλὰ προειρήκασιν ὡς γόνιμος, ὡς ἐνθυμηματικὸς τυγχάνει καὶ βίαιος καὶ καθόλου τὸν Δημοσθένην μιμούμενος.Ibid., l. 21 : τῇ τῶν ἐνθυμημάτων πυκνότητι δημοσθενίζει.