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ÆLIUS ARISTIDE

les écrivains de ce temps[1]. Sachant par cœur, très certainement, une bonne partie des œuvres classiques, il se sert sans effort des ressources qu’elles lui fournissaient. Thucydide, Platon, Xénophon, Isocrate, Démosthène surtout, sont ses modèles favoris. Rivaliser avec ce dernier a été son ambition constante, et il s’est flatté plus d’une fois de l’avoir égalé, sinon surpassé[2]. En luttant avec lui, il ne craignait pas de lui prendre ses propres armes ; il est plein de tours, d’expressions, de raisonnements même, qui viennent directement de son modèle. Toutefois, l’allure de sa phrase n’a rien de la véhémence du grand orateur. Son style est plutôt une sorte de compromis entre sa manière et celle d’Isocrate, avec un mélange d’éléments abstraits qui procèdent de Thucydide. Qu’il ait quelque chose d’apprêté et d’artificiel, cela est incontestable. Mais pour les meilleurs juges de ce temps, il représentait, en face des improvisations frivoles et du mauvais goût régnant, la forte tradition classique[3]. N’ayant qu’une médiocre aptitude à improviser, Aristide s’était fait une préférence raisonnée pour l’éloquence étudiée, qui lui semblait plus sérieuse. Il se prenait lui-même pour un pur Attique, et il censurait de haut les écarts des parleurs contemporains, comme on peut le voir surtout dans son discours Contre ceux qui profanent l’éloquence (Or. L, Κατὰ τῶν ἐξορχουμένων). Quelle que fût la part d’illusion qu’il y eût dans cette

  1. Voir sur ce sujet Schmidt, Atticismus, t. II.
  2. Disc. sacrés, LV. (Or. XXVI, p. 507, Dindorf). Au début de sa maladie, il raconte qu’il vit en songe un philosophe, Rhosandre, qui lui dit : Παρῆλθες ἡμῖν τῷ ἀξιώματι τὸν Δημοσθένη, ὡς μηδ’ αὐτοῖς ἄρα τοῖς φιλοσόφοις εἶναι ὑπερφρονῆσαι. Et il ajoute : τοῦτο τὸ ῥῆμα πᾶσαν ἐμοὶ τὴν ὕστερον φιλοτιμίαν ἐξῆψε..
  3. Son contemporain, l’atticiste Phrynichos, faisait de lui la plus grand éloge dans le 10e livre de sa παρασκευὴ σοφιστική (Phot., cod. 458, p. 104, a, Bekker) ; il n’est pas douteux, étant donné l’esprit de l’ouvrage, qu’il ne le louât justement à ce point de vue.