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CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

par certaines de ses habitudes d’écrivain, mais il s’en dégage par la vigueur native de son esprit et par l’indépendance de son caractère. C’est à la fois un remueur d’idées et un créateur de formes. Pamphlétaire, moraliste, conteur, dialecticien, il a une puissance intime qu’on ne trouve en ce temps chez aucun autre. Seul peut-être entre les écrivains de la période romaine, il rappelle par le génie ceux des siècles classiques ; il y a en lui de l’Aristophane et du Platon. Il unit la grâce à la force, l’esprit mordant à la clairvoyance, l’ironie charmante à la philosophie et à l’éloquence. Tous les sophistes contemporains, grands hommes pour leur public, ont disparu pour la postérité : lui seul reste vivant et domine son siècle. D’ailleurs, aucun plus que lui n’invite à penser. Il incarne l’hellénisme, et il en révèle le déclin. Il tourne avec un art merveilleux les ressources du passé à la destruction de ce que ce passé avait édifié. Son importance est aussi grande dans l’histoire des idées que dans celle des formes littéraires. Il est celui qui fait le mieux sentir quelle était encore la force de l’hellénisme et quelle était déjà sa faiblesse.

Sa vie ne nous est guère connue que par ce qu’il en a dit lui-même, çà et là, dans ses écrits[1]. Né à Samosate, dans la Syrie du Nord, vers l’an 125 de notre ère[2], lui

  1. Suidas, Λουκιανὸς Σαμοσατεύς, notice insignifiante. Photius, cod. 128, parle de ses écrits, mais non de sa vie. — À consulter : Mees, De Luciani studiis et scriptis juvenilibus, Rotterdam, 4841 ; K. G. Jacob, Characteristik Lukians von Samosata, Hambourg, 1832 ; K. F. Hermann, Zur Characteristik Lukians, 1849 ; J. Sommerbrodt, Introduction des Ausgewahltschriften des Lucian, Berlin, 1860 ; Maurice Croiset, Essai sur la vie et les œuvres de Lucien, Paris, 1882.
  2. Suidas le fait naître sous Trajan. La date approximative de 185 résulte de l’ensemble de sa vie, en particulier de ce qu’il se donne à lui-même 40 ans dans l’Hermotime, manifestement écrit à Athènes, lorsque l’auteur eut renoncé à la rhétorique, mais peu après. Or Lucien s’est fixé à Athènes vers 164. Cf. Double accusation, 32.