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CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

sons générales de son déclin. Lorsque nous en devinons quelque chose dans ses descriptions, c’est le plus souvent à l’aide d’autres témoignages, en nous appliquant à découvrir dans ce qu’il a écrit beaucoup plus qu’il n’y a mis.


Comme représentant de la pensée libre, Lucien a eu le mérite de faire éclater le ridicule, le scandale, la puérilité des mythes qui servaient de fond à la religion gréco-romaine. Dans cette guerre à la crédulité, il se rattache à l’épicurisme, et il va jusqu’où allait l’épicurisme, c’est-à-dire jusqu’à la négation de la providence divine. Il est douteux, malgré la vigueur et la constance avec lesquelles il a soutenu ce combat, qu’il ait eu, comme Voltaire par exemple, une intention arrêtée de propagande. Cela était difficile en un temps où les écrits se répandaient lentement et ne sortaient guère d’un cercle assez restreint. D’ailleurs, lui-même dit nettement que, quoi qu’on puisse écrire ou publier, l’immense majorité de l’humanité est destinée à rester le lendemain ce qu’elle était la veille[1]. Son principal objet était donc de se satisfaire lui-même, en amusant un public choisi, qui pensait comme lui. Bien entendu, cela n’empêche pas qu’il n’ait fait une chose bonne en soi, en protestant au nom de la raison contre des sottises humiliantes et dangereuses. Si l’on approuve chez les apologistes chrétiens contemporains la satire du polythéisme, il n’est que juste d’en savoir gré aussi à Lucien, qui lui a donné une forme bien autrement vive, brillante, et propre à éveiller la réflexion critique. Toutefois, pour l’apprécier, dans ce rôle même, à sa véritable valeur, plusieurs observations ne doivent pas être perdues de vue.

  1. Zeus tragédien, fin.