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LUCIEN ; SON TALENT

des vieux mots jusqu’à l’idolâtrie. Tout cela était juste et opportun. Mais, en matière littéraire, Lucien ne s’est pas érigé en législateur. Il a donné quelques avertissements, à l’occasion, et surtout des exemples. Aussi bien, ce qu’il y a de plus solide et de plus brillant à la fois en lui, c’est son talent d’écrivain. Il est temps de l’étudier.

VII

Le fond du talent de Lucien, c’est l’esprit, au sens moderne du mot, c’est-à-dire le don des aperçus vifs, des inventions plaisantes, des traits satiriques. Mais il y a en ce genre des distinctions à établir, et il faut essayer de caractériser plus précisément l’espèce d’esprit qui lui est propre.

Une pensée singulièrement nette et prompte, un regard clairvoyant, aiguisé, mobile, voilà ce qu’il faut noter tout d’abord. Toutefois, c’est par les qualités d’invention, bien plus que par celles d’observation, qu’il excelle véritablement ; et dans l’invention, son originalité est proprement faite de fantaisie. Non que sa dialectique ne mérite aussi d’être signalée : elle est inventive, agile, remarquablement ingénieuse ; et, si elle manque un peu de force, si elle est quelquefois courte et sommaire, elle compense ce défaut par l’abondance des suggestions piquantes, qui amorcent la réflexion. Mais enfin, dépouillée de ce que l’imagination y ajoute, elle ne serait peut-être pas supérieure à celle de la plupart des sophistes contemporains ; et, en fait, c’est, de toutes les facultés de Lucien, celle qui s’est le plus développée dans l’école. Le signe distinctif de son esprit, c’est l’essor libre et capricieux.

Son imagination, excitée par une humeur moqueuse, aime à créer joyeusement, en dehors de la vraisemblance,