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CHAPITRE II. — PHILOSOPHIE AU IIIe SIÈCLE

qui nous ont été conservées par son biographe[1]. Telles sont aussi ses Opinions fondamentales (Κύριαι δόξαι), également conservées par Diogène, et dont le recueil, s’il n’a pas été formé par Épicure lui-même, remonte au moins à ses premiers disciples, qui ont extrait de ses œuvres, d’une manière toute conforme à son esprit, la moëlle, pour ainsi dire, et la substance condensée de la doctrine. Épicure, en effet, n’est plus du tout un spéculatif : c’est un maître de la vie pratique, un homme préoccupé d’établir les règles précises du bonheur. Il ne demande à ses disciples aucune préparation scientifique[2]. Il ne veut pas faire d’eux des dialecticiens et des savants[3]. Ayant trouvé pour son propre compte le moyen d’être heureux, il l’enseigne aux autres comme une sorte de religion pratique dont il est le prophète et le grand prêtre[4]. Ses disciples, de leur côté, acceptent ses dogmes sans les discuter. Le néo-platonicien Numenius, au second siècle de l’ère chrétienne, remarquait que l’Épicurisme n’avait pas eu d’hérésies, et que toute altération de la doctrine était condamnée par les épicuriens comme une faute, ou plutôt comme une impiété[5]. C’est là, en Grèce, une grande nouveauté : car l’esprit grec n’avait pas coutume de s’enchaîner par des formules. Rien ne montre mieux, en revanche, le caractère essentiellement pratique de la doctrine : la liberté des opinions est, en effet, un besoin

  1. Ce sont les lettres I et III d’Usener. La IIe, à Pythoclès, est considérée en général comme apocryphe. — Des autres ouvrages d’Épicure, il nous reste de très nombreuses citations plus ou moins littérales chez les auteurs grecs et latins.
  2. Usener, p. 170-171. Cf. aussi fragm. 117.
  3. Diog. L., X, 31.
  4. Cf. Picavet, De Epicuro novae religionis auctore, Paris, 1888.
  5. Mullach (Didot), Fragm. Philos., t. III, p. 153, col. 2 : μηδ’ αὐτοῖς εἶπειν πω ἐναντίον οὐτε ἀλλήλοις οὔτε Ἐπικούρῳ μηδὲν ὅτου καὶ μνησθῆναι ἄξιον, ἀλλ’ ἐστιν αὐτοῖς παρανόμημα, μᾶλλον δὲ ἀσέϐημα, καὶ κατέγνωσται τὸ καινοτομηθέν. — Cf. Themistius, Orat., IV, et Sénèque, Ép. 33, 4 ; textes curieux, cités par Picavet, p. 17.