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ÉPICURE

de l’esprit spéculatif : dans la pratique, c’est de vérité prouvée, ou du moins de vérité acceptée comme telle, que l’on a surtout besoin. L’apparition et le succès de l’épicurisme attestent un affaiblissement notable de la pensée spéculative en Grèce. Et cependant, cette philosophie pratique comprend encore une théorie de la méthode, une physique même, en dehors de la morale proprement dite. Mais physique et méthode y sont étroitement subordonnées à la morale.

Il semble que le point de départ de la pensée d’Épicure ait été à peu près celui-ci : la condition humaine est rendue misérable par des idées, des passions, des maux physiques ; quelle est, dans toutes ces misères, la part de l’illusion ? À quoi se réduisent-elles pour qui sait voir les choses comme elles sont ? Épicure crut avoir trouvé le remède à ces maux dans une méthode intellectuelle rigoureuse, dans une physique exacte, dans une morale conforme aux principes de sa physique et de sa logique.

Il appelle sa logique la canonique ou le canon (κανών), c’est-à-dire la science des règles de la pensée[1]. L’origine de toute connaissance est dans la sensation (αἴσθησις). De la multitude des sensations particulières se forment les idées générales (προήψεις). Quand les sensations ne fournissent pas de données suffisantes, l’esprit en est réduit à la conjecture (ὑπόηψις), sur laquelle on ne peut rien fonder de solide. Les idées générales, au contraire, élaborées et groupées par le raisonnement (ἐπιλογισμός), sont le fondement de la science (ἐπιστήμη), qui, par conséquent, repose tout entière, en dernière analyse, sur les données primitives des sens. La sensation n’est pas seulement la source des idées : elle est encore une source de passions (πάθη), c’est-à-dire de plaisirs et de peines. Par là elle

  1. Diog. L., X, 31. Cf. P. M. F. Thomas, De Epicuri canonica, Paris, 1889.