Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
PYRRHON

moin : dans la pratique, Pyrrhon se conduisait, comme tout le monde, à l’aide de ses sens et de sa raison ; seulement il ne se croyait pas ainsi en possession de la vérité. Dans ces limites, le pyrrhonisme se ramène à une sorte de positivisme : il consiste à croire que nous ne pouvons savoir « le tout de rien. » Les sophistes du ve siècle, et notamment Gorgias, avaient déjà fait quelques pas dans la même voie, mais quelques pas seulement : car leur scepticisme ne portait ni sur l’idée de l’utile ni sur les choses pratiques. Pyrrhon ne croit pas plus à une science véritable de l’utile qu’à une science de la nature. Et il a en outre cette originalité d’accepter avec joie cette ignorance totale, et de voir, dans l’impuissance radicale de l’esprit à connaitre les choses, la meilleure garantie du bonheur de l’homme, si celui-ci sait pratiquer comme il convient la « suspension du jugement », la fameuse ἐποχή.

Ces théories répondaient à une tendance très générale chez les esprits cultivés du iiie siècle, car elles trouvèrent de l’écho. Non que le pyrrhonisme se soit organisé à proprement parler en école, comme le stoïcisme ou l’épicurisme : nous ne connaissons guère à Pyrrhon que deux ou trois disciples directs tout au plus ; le scepticisme d’Énésidème, qui se rattache au sien à certains égards, en est séparé dans le temps par un intervalle de deux siècles. Mais ses idées s’infiltrèrent dans les écoles voisines, et l’Académie platonicienne tout entière se pénétra de son esprit.

Parmi ses disciples directs, on cite Nausiphane de Téos, qui conciliait cependant ses doctrines avec celles de Démocrite[1], et l’historien Hécatée d’Abdère. Mais le seul qui mérite, comme philosophe, une place dans l’histoire littéraire, c’est Timon, le « sillographe. »

  1. Diog. L., IX, 64 et 102.