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JEAN CHRYSOSTÔME

le mal, mais avec des gens qui aiment la tentation. Et il s’agit de leur faire voir ce qu’ils ne veulent pas voir, de leur faire avouer ce qu’ils ne s’avouent pas à eux-mêmes. Tout ce qu’il dit est si simple qu’il semble n’avoir besoin, pour le dire, que de bon sens et de bonne foi. Qu’on y regarde pourtant de près : on verra ce qu’il y a, dans ce bon sens et cette bonne foi, d’expérience fine, de clairvoyance, de prudence avisée, et combien ces aperçus sont liés entre eux.

Ces qualités de premier ordre feraient de Chrysostome un moraliste tout à fait supérieur, si sa morale elle-même était d’ailleurs plus large. Ce qui lui fait tort, c’est que la tendance profonde de son esprit et de son caractère, au lieu de le porter à développer dans le christianisme ce qui est vraiment universel, l’a conduit au contraire à s’enfermer dans un ascétisme dont l’autorité ne pouvait être que locale et temporaire. On est peiné de voir cette nature généreuse et ce puissant esprit s’attacher à démontrer avec passion que la vie du moine est l’idéal même de la vie chrétienne, qu’en dehors d’elle le salut est à peine possible, que le mariage est un état inférieur, un préservatif contre le péché, indigne des natures vraiment fortes, que d’ailleurs les vertus des hérétiques et des infidèles non seulement ne sont pas des vertus, mais qu’elles doivent être jugées pires que les vices eux-mêmes[1]. De tels démentis donnés à la raison, à l’humanité, à l’instinct social, ont quelque chose d’attristant. Sans doute, ils appartiennent surtout aux ouvrages de jeunesse de Chrysostome ; sans doute aussi, ils peuvent être en partie expliqués par l’histoire du temps ; mais cela n’empêche pas qu’ils ne subsistent avec ses écrits, qu’on ne les retrouve à peine atténués dans toute son œuvre et qu’ils ne la compro-

  1. Voir tout le traité du Sacerdoce et la discussion Contre les adversaires de la vie monastique.