Page:Croiset - Manuel d’histoire de la littérature grecque, 10e éd.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE GRECQUE

tions il composa, mettons-nous sous les yeux la condition des aèdes en général et les mœurs de leur public.

Ce public se composait surtout des riches citoyens des villes et des bourgs. Adonnés à l’apiculture, et plus tard au commerce, guerriers quand il le fallait, les chefs de famille formaient une aristocratie qui avait à sa tête des rois, censés issus des dieux. Chacun d’eux vivait dans une vaste demeure, entouré de ses fils et de ses serviteurs, les uns esclaves, les autres mercenaires ; il avait là ses appartements, ses trésors et ses magasins. Au milieu de la demeure se dressait une construction, appelée proprement le μέγαρον. Là était la grande salle où le chef de famille prenait ses repas avec les siens et recevait ses hôtes ; le toit, soutenu par des piliers, était percé d’une ouverture à la partie centrale pour laisser échapper la fumée ; sous cette ouverture se trouvait le foyer toujours allumé ; on y faisait bouillir l’eau et rôtir les viandes. La simplicité des mœurs était en rapport avec celle de la maison. Les hommes de ce temps causaient peu, au sens que nous donnons à ce mot, car ils n’avaient que peu d’idées à échanger. Leurs jugements étaient brefs, sentencieux, traditionnels ; ils avaient, sur toutes les choses essentielles, des opinions arrêtées, que personne ne mettait en question.

Ce qui leur plaisait surtout, c’étaient les récits. Ne discutant pour ainsi dire pas, ils n’avaient rien de mieux à faire pour se divertir, tout en se reposant, que de se raconter mutuellement ce qu’ils avaient vu ou entendu dire. L’étranger, qui apportait des nouvelles ou qui décrivait des choses inconnues, était accueilli avec joie. À défaut d’étranger, il fallait à une telle société des narrateurs attitrés, qui eussent pour métier de charmer les réunions ami-