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RÊVES DE JEUNESSE

était si bien. Oui, je me souviendrai toujours avec reconnaissance du bois de la Minière ; c’est de tous les coins que j’ai vus jusqu’ici celui que j’ai le plus aimé et où j’ai été le plus heureux. Je partais souvent le soir et je remontais la vallée ; je revenais avec vingt idées en tête ».

Ainsi, chez Pierre Curie, la sensation de bonheur éprouvée à la campagne se liait à la possibilité de réflexion tranquille. La vie courante, avec ses obligations et ses nombreuses causes de dérangement, ne lui permettait pas de se concentrer en lui-même, et c’était pour lui une cause de souffrance et d’inquiétude. Il se sentait destiné à la recherche scientifique. C’était pour lui un besoin impérieux d’approfondir et de comprendre les phénomènes pour s’en former une théorie satisfaisante. Mais en essayant de fixer son esprit sur quelque problème, il en était fréquemment détourné par une multiplicité de causes futiles qui troublaient ses réflexions et le plongeaient dans le découragement. Sous le titre : « Un jour comme bien d’autres », il écrivait dans son journal le récit des événements puérils qui avaient rempli une de ses journées sans laisser de place au travail utile. Il concluait : « Voilà ma journée et je n’ai rien fait. Pourquoi ? » Plus loin, il revenait sur le même sujet, et écrivait, prenant comme titre une ligné extraite d’un auteur célèbre :

« Étourdir de grelots l’esprit qui veut penser[1] ».

« Pour que, faible comme je le suis, je ne laisse pas ma tête aller à tous les vents, cédant au moindre

  1. Victor Hugo, Le Roi s’amuse.