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PERSONNALITÉ ET CARACTÈRE

choses qui ne se commandent pas. Ce serait cependant une belle chose à laquelle je n’ose croire que de passer la vie l’un près de l’autre, hypnotisés dans nos rêves : votre rêve patriotique, notre rêve humanitaire et notre rêve scientifique. De tous ces rêves-là, le dernier seul, est, je crois, légitime. Je veux dire par là que nous sommes impuissants pour changer l’état social, et s’il n’en était pas ainsi, nous ne saurions que faire, et en agissant dans un sens quelconque nous ne serions jamais sûrs de ne pas faire plus de mal que de bien, en retardant quelque évolution inévitable. Au point de vue scientifique, au contraire, nous pouvons prétendre faire quelque chose ; le terrain est ici plus solide et toute découverte, si petite qu’elle soit, reste acquise…

» Je vous conseille vivement de revenir à Paris au mois d’octobre. Cela me ferait beaucoup de peine si vous ne veniez pas cette année, mais ce n’est pas par égoïsme d’ami que je vous dis de revenir. Je crois seulement que vous travaillerez mieux et que vous ferez ici besogne plus solide et plus utile. »

On peut comprendre, d’après cette lettre, qu’il n’y avait pour Pierre Curie qu’une seule manière d’envisager son avenir. Il avait voué sa vie à son rêve scientifique ; il lui fallait une compagne qui pût vivre le même rêve avec lui. Il m’a dit plusieurs fois que s’il ne s’était pas marié jusqu’à trente-six ans c’est qu’il ne croyait pas à la possibilité d’un mariage répondant à ce qui était pour lui un besoin absolu.

À vingt-deux ans, il écrivait dans son journal : « La femme, bien plus que nous, aime la vie pour