Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/297

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Tantôt vous voyez passer un officier à cheval courant au grand galop pour aller porter un ordre à quelque commandant de troupes ; tantôt c’est un feldjæger qui va porter un ordre à quelque gouverneur de province, peut-être à l’autre extrémité de l’Empire, où il se rend en kibitka, petit char à bancs russe sans ressorts et non rembourré. Cette voiture, conduite par un vieux cocher à barbe, entraîne rapidement le courrier à qui son rang défendrait de se servir d’un équipage plus commode, en eût-il un à sa disposition ; plus loin, des fantassins reviennent de l’exercice et se rendent à leurs quartiers pour prendre l’ordre de leur capitaine : rien que des fonctionnaires supérieurs qui commandent à des fonctionnaires inférieurs. Cette population d’automates ressemble à la moitié d’une partie d’échecs, car un seul homme fait jouer toutes les pièces, et l’adversaire invisible, c’est l’humanité. On ne se meut, on ne respire ici que par une permission ou par un ordre impérial ; aussi tout y est-il sombre et contraint : le silence préside à la vie et la paralyse. Officiers, cochers, Cosaques, serfs, courtisans, tous serviteurs du même maître avec des grades divers, obéissent aveuglément à une pensée qu’ils ignorent ; c’est un chef-d’œuvre de mécanique militaire ; mais la vue de ce bel ordre ne me satisfait pas du tout, parce que tant de régularité ne s’obtient que par l’absence complète d’indépendance. Je crois voir