Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/104

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et qui équivaut bien, pour la profondeur de l’impression, à la richesse et à la variété des paysages les plus célèbres de la terre. Ce n’est pas une œuvre pompeuse, artificielle, une invention agréable, c’est une profonde solitude, une solitude terrible et belle comme la mort. D’un bout de ses plaines, d’un rivage de ses mers à l’autre, la Russie entend la voix de Dieu que rien n’arrête, et qui dit à l’homme enorgueilli de la mesquine magnificence de ses pauvres villes : Tu as beau faire, je suis toujours le plus grand ! Tel est l’effet de nos préoccupations d’immortalité que ce qui intéresse surtout l’habitant de la terre, c’est ce qui lui parle d’autre chose que de la terre.

Admirez la puissance des dons primitifs chez les nations : pendant plus de cent ans les Russes bien élevés, les grands seigneurs, les savants, les puissants du pays, ont été mendier des idées et copier des modèles dans toutes les sociétés de l’Europe : eh bien ! cette ridicule fantaisie de princes et de courtisans n’a pas empêché le peuple de rester original[1].

Cette race spirituelle est trop fine de sa nature, elle a le tact trop délicat pour se pouvoir confondre avec les peuples teutoniques. La bourgeoise Allemagne est encore aujourd’hui plus étrangère à la Russie que ne

  1. Ce reproche, qui tombe sur Pierre Ier et sur ses successeurs immédiats, complète l’éloge de l’Empereur Nicolas, qui a commencé d’arrêter ce torrent.