Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/121

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porté de l’Asie. Cette société n’a jusqu’à présent été policée qu’en souffrant la violence et l’incohérence des deux civilisations en présence, mais encore très diverses ; c’est pour le voyageur une source d’observations intéressantes, sinon consolantes.

Le bal est une cohue ; il est soi-disant masqué parce que les hommes y portent sous le bras un petit chiffon de soie baptisé manteau vénitien, et qui flotte ridiculement par-dessus les uniformes. Les salles du vieux palais, remplies de monde, sont un océan de têtes à cheveux gras, toutes dominées par la noble tête de l’Empereur, de qui la taille, la voix et la volonté planent sur son peuple. Ce prince paraît digne et capable de subjuguer les esprits comme il surpasse les corps ; une sorte de prestige est attaché à sa personne ; à Péterhoff, comme à la parade, comme à la guerre, comme dans tout l’Empire, comme à tous les moments de sa vie, vous voyez en lui l’homme qui règne.

Ce règne perpétuel et perpétuellement adoré serait une vraie comédie, si de cette représentation permanente ne dépendait l’existence de soixante millions d’hommes, qui ne vivent que parce que l’homme que vous voyez là, devant vous, en attitude d’Empereur, leur accorde la permission de respirer et leur dicte la manière d’user de cette permission : c’est le droit divin appliqué au mécanisme de la vie sociale ; tel est