Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/123

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les philosophes français, dont sa vanité quêtait les louanges. Le gouverneur de Moscou, l’un de ses anciens favoris, récompensé par un pompeux exil dans l’ancienne capitale de l’Empire, lui écrivait un jour que personne n’envoyait ses enfants à l’école ; l’Impératrice répondit à peu près en ces termes :

« Mon cher prince, ne vous plaignez pas de ce que les Russes n’ont pas le désir de s’instruire ; si j’institue des écoles, ce n’est pas pour nous, c’est pour l’Europe, où il faut maintenir notre rang dans l’opinion, mais du jour où nos paysans voudraient s’éclairer, ni vous ni moi nous ne resterions à nos places. »

Cette lettre a été lue par une personne digne de toute ma confiance ; sans doute en l’écrivant l’Impératrice était en distraction, et c’est précisément parce qu’elle était sujette à de telles absences qu’on la trouvait si aimable et qu’elle exerçait tant de puissance sur l’esprit des hommes à imagination.

Les Russes nieront l’authenticité de l’anecdote selon leur tactique ordinaire ; mais si je ne suis pas sûr de l’exactitude des paroles, je puis affirmer qu’elles expriment la vraie pensée de la souveraine. Ceci doit suffire pour vous et pour moi.

Vous pouvez reconnaître à ce trait l’esprit de vanité qui gouverne et tourmente les Russes, et qui pervertit jusque dans sa source le pouvoir établi sur eux.