Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/124

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Cette malheureuse opinion européenne est un fantôme qui les poursuit dans le secret de leur pensée, et qui réduit pour eux la civilisation à un tour de passe-passe exécuté plus ou moins adroitement.

L’Empereur actuel, avec son jugement sain, son esprit clair, a vu l’écueil, mais pourra-t-il l’éviter ? Il faut plus que la force de Pierre le Grand pour remédier au mal causé par ce premier corrupteur des Russes.

Aujourd’hui la difficulté est double ; l’esprit du paysan, resté rude et barbare, regimbe contre la culture, tandis que ses habitudes, sa complexion, le soumettent au frein ; en même temps, la fausse élégance des grands seigneurs contrarie le caractère national, sur lequel il faudrait s’appuyer pour ennoblir le peuple : quelle complication ? qui déliera ce nouveau nœud gordien ?…

J’admire l’Empereur Nicolas : un homme de génie peut seul accomplir la tâche qu’il s’est imposée. Il a vu le mal, il a entrevu le remède, et il s’efforce de l’appliquer : lumières et volonté, voilà ce qui fait les grands princes.

Cependant un règne peut-il suffire pour guérir des maux qui datent d’un siècle et demi ? Le mal est si enraciné qu’il frappe même l’œil des étrangers un peu attentifs, et pourtant la Russie est un pays où tout le monde conspire à tromper le voyageur.