Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/206

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J’ai vu dans une même rue deux cochers de droschki (fiacre russe) ôter cérémonieusement leur chapeau en se rencontrant : c’est un usage reçu ; s’ils sont liés un peu intimement, ils appuient d’un air amical, en passant l’un devant l’autre, la main sur leur bouche et la baisent en se faisant un petit signe des yeux fort spirituel et fort expressif : voilà pour la politesse. Voici pour la justice : un peu plus loin, j’ai vu un courrier à cheval, un feldjæger ou quelque autre employé infime du gouvernement, descendre de sa voiture, courir à l’un de ces deux cochers bien élevés et le frapper brutalement à coups de fouet, de bâton ou de poing, qu’il lui assène sans pitié dans la poitrine, dans la figure et sur la tête ; cependant le malheureux qui ne se sera pas rangé assez vite, se laisse assommer sans la moindre réclamation ni résistance par respect pour l’uniforme et pour la caste de son bourreau ; mais la colère de celui-ci n’est pas toujours désarmée par la prompte soumission du délinquant.

N’ai-je pas vu un de ces porteurs de dépêches, courrier de quelque ministre ou valet de chambre galonné de quelque aide de camp de l’Empereur, arracher de dessus son siége un jeune cocher qu’il n’a cessé de battre que lorsqu’il lui eut mis le visage en sang ? La victime subissait cette exécution en véritable agneau sans la moindre résistance et comme on obéit à un